Page 29 - ARS MAGAZINE
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Pour en revenir aux dérives autour de l’homme augmenté, vous parlez de digitocratie, d’enfer digital, d’ingénieurs droguésau « toujours plus ».GV : On interdit aux sportifs de se droguer et on construit un système dix fois pire : on va nous mettre une caméra de recul, on va nous rajouter des bras bioniques, on est dans une espèce d’évolution inimaginable de ce que peut être l’Homme. Que sommes-nous ici, pour quelle nalité ? C’est cela qui est intéressant. J’aime beaucoup les ingénieurs, ceux que je ne supporte pas sont ceux qui pensent que comme un problème est posé il sera résolu. On ne peut pas réduire la nature humaine à une succession de systèmes algorithmiques, le neurone n’a rien à voir avec la puce de silicium. Concernant la digitocratie, les GAFA* dépassent la capacité des États, ils sont partout et nulle part. Google a dépassé cette année les mille milliards de dollars. Voilà la puissance de ces outils numériques. À la fois nous sommes très aidés, nous communiquons, nous nous transportons, nous avançons dans la science, nous décryptons le génome, nous arrivons à traiter des maladies qu’on ne connaissait pas avant, on fait de mieux en mieux et de plus en plus tôt. Mais au prix de quoi ? Au prix des clics que nous faisons tous les jours dans une pseudo gratuité mortifère où ces systèmes sont en train de nous espionner. Je veux le droit au mensonge et au secret, sinon il n’y aura plus d’humanité.Quelles sont vos éconisations face à ces oblématiques ?GV : Ce débat n’est pas encore arrivé en France, il fait rage aux États-Unis. Ici, on est traumatisé par le climat, alors qu’on est dans un des pays qui a le climat le plus sain. Et on ne se préoccupe pas de ce qui est en train de se passer sur les sujets dont je vous parle. Il faut que la société française s’en empare de façon à ce que le politique se mette à son tour à s’intéresser à la chose. Aujourd’hui c’est hors du champ de n’importe quel candidat à la présidentielle. Or, c’est aujourd’hui, ce n’est pas demain qu’il faut y ré échir. Qu’allons-nous faire ? Ces services vont-ils aller au-delà de nos capacités ?Comment voyez -vous le champ de la santé, l’ ganisation du système de soins, des atiques médicales ?GV : Aujourd’hui, je manipule, demain je regarderai sûrement le robot faire. Le diagnostic sera de plus en plus fait par la machine, car elle peut chercher les diagnostics rares. Avec le séquençage, une tumeur de la vessie sera analysée. Comment voulez-vous que mon cerveau puisse analyser 3 milliards de base ? C’est la machine qui va donner le bon traitement. Et du point de vue thérapeutique c’est la même chose. Les décisions seront de plus en plus prises à partir de la machine. Donc ça remet en cause ce qui faisait les fondamentaux du médecin, le pouvoir médical. En revanche, ce qui va se passer c’est que jamais un malade ne croira la machine jusqu’au bout.*L’acronyme GAFA désigne quatre des entreprises les plus puissantes du monde de l’internet à savoir : Google, Apple, Facebook et Amazon.Donc la confiance revient toujours à l’humain face à la machine ?GV : Oui et c’est tout l’intérêt de la consultation. Quand on discute avec des patients qui ont plusieurs options thérapeutiques, la consultation se termine toujours de la même façon : « et si c’était vous docteur ? » Le malade a tout entendu, mais il se retourne vers l’humain. Le vrai rôle qui est le mien, c’est bien de répondre à une personne unique, qui est en face de moi, qui est malade et qui ne rentre pas toujours dans le moule des normes et des guides de bonnes pratiques édictées depuis Bruxelles en passant par le ministère, les ARS, les société savantes. Vous avez 10 à 15 % des malades qui ne rentrent pas dans ce moule pour des raisons personnelles, familiales, socio-professionnelles, culturelles ou religieuses. Et c’est à moi dans ce cas de transgresser les règles. Le médecin a pour rôle de transgresser les règles.Donc qu’a end véritablement le patient ?GV : Il attend cette prise en charge, cette responsabilité de s’adresser à lui et non pas à la société qui dit que. Ce qui veut dire que nous n’avons pas besoin d’être aussi nombreux. Si c’est pour répondre à 10 ou 15 % des patients, tout le reste du travail, interrogatoire, examen clinique, échographie, prise de sang, peut être fait par des intermédiaires niveau master qui le feront très bien. Cela nous oblige à revoir nos études médicales, car on n’apprend rien de la psychologie et de la communication. Les gamins aujourd’hui sont en permanence devant des smartphones et des écrans. Nous vivons dans un monde de plus en plus connecté mais où on converse de moins en moins. Et le médecin sera de plus en plus celui qu’on ira voir pour être en relation. C’est une vision qui est pour moi évidente et que n’intègre pas le politique. Et on ferait bien de s’en préoccuper maintenant, car les études de médecine c’est 10 ans.Comment amèneriez -vous le grand public à ce e ise de conscience ?GV : Tant que vous n’aurez pas une prise de conscience des chaînes de télévision consistant à faire des prime time ludiques et explicatifs, ce sera compliqué. Car c’est passionnant la vie des savants. Tintin c’est nul à côté ! Les savants sont des êtres d’exception, hors normes, qui ont les pires défauts, les pires intuitions. C’est passionnant à suivre. C’est par cette éducation qu’on arrivera à faire prendre conscience à la population des enjeux cruciaux pour l’humanité, ceux qu’on évoque. Et tout le monde sera très intéressé. Ce qui permettra ensuite d’alerter le politique, qui lui ne s’alerte que quand la société bouge.Et si on repensait le système ? 29